Je le conserve encore, ce billet d’avion de Bruxelles à Bilbao pour passer les fêtes de Noël de 1977 avec ma famille maternelle.
Je le conserve encore, ce billet d’avion de Bruxelles à Bilbao (via Barcelone, à l’époque il n’y avait pas encore de vols directs à Sondika) pour passer les fêtes de Noël de 1977 avec ma famille maternelle. Ce fut le plus beau des cadeaux de mes parents puisqu’il allait m’ouvrir les portes d’un univers qui se transformerait très vite en une véritable passion : le transport aérien. Un matin de décembre, il me suffit de mettre le pied dans le Boeing 737 de la Sabena pour sentir que quelque chose se produisait en moi. Durant tout le voyage je fus attentif au moindre détail et tout m’émerveillait : la cabine de l’avion, les hôtesses de l’air dans leur uniforme à la fois élégant et moderne (certaines portaient déjà le pantalon), les annonces de l’équipage, les consignes de sécurité (que je ne tarderais pas à collectionner), le roulage puissant et rugueux de l’appareil sur la piste avant de s’élancer dans les airs, le plateau repas (oui, il fut un temps où les passagers étaient bien traités, même en classe économique)… Je vivais un rêve éveillé. Et le vol de Barcelone à Bilbao ne fit que confirmer cette passion naissante. Imaginez, voler dans une Caravelle, un avion mythique, avec une compagnie dont je n’avais jamais entendu le nom, Aviaco, accueilli par des hôtesses de l’air vêtues d’un superbe uniforme créé par Elio Berhanyer en 1972. Le vol fut trop court !
Depuis cette première expérience, ma seule ambition était de voler.
Depuis cette première expérience, ma seule ambition était de voler. Mon jeune âge et les moyens financiers ne me permettant pas encore de le faire, je me rendais souvent à l’aéroport de Bruxelles pour observer les avions à travers la splendide baie vitrée du terminal construit pour l’Exposition universelle de 1958. J’avais aussi repéré l’endroit où les équipages arrivaient avant de se rendre au briefing. Les observer dans leur uniforme seyant me donnait des ailes. Je commençai à acheter toutes les revues d’aviation commerciale que je trouvais au Pêle-Mêle, une librairie d’occasion bruxelloise bien connue. Très vite, je connaîtrais les codes à deux lettres des principaux transporteurs aériens du monde entier, les codes à trois lettres des aéroports, les uniformes des hôtesses de l’air, les modèles d’avions, les livrées des compagnies. J’étais aussi capable de reconnaître le type d’avion qui volait haut dans le ciel et de dire la compagnie à laquelle il appartenait. Bien entendu, je ne ratais aucun film sur le sujet et Aéroport (avec Burt Lancaster, Dean Martin, George Kennedy, Jean Seberg et Jacqueline Bisset comme cheffe de cabine) est pour moi un film culte (je suis de ceux qui s’inquiètent quand ils voient une bonne sœur dans un avion…).
Je décidai alors que je deviendrais steward. Les maths, la physique, l’aérodynamique n’étaient pas mon fort, je ne me voyais donc pas devenir pilote, d’ailleurs cela coûtait les yeux de la tête et ce qui m’émerveillait réellement c’était l’iconographie de l’aviation commerciale, les uniformes, les logos, le service à bord, la composition des menus, l’agencement des cabines, les sièges, la composition des flottes, les aéroports, leur design, les immenses panneaux d’affichage à palettes et leur sonorité tellement particulière quand ils étaient actualisés. Pourtant, mon destin en décida autrement, je serais traducteur-interprète !
L’intérêt que je portais à cette activité et ma connaissance des langues me permirent plus tard d’être correspondant pour plusieurs magazines d’aviation.
Je suivis, à Bruxelles cette fois, un cours pour obtenir ma licence de personnel navigant commercial et quelques mois plus tard je volai, le temps d’un été, sur un DC-10 appartenant à une compagnie charter aujourd’hui disparue.
Les années avaient beau passer, le feu sacré né à l’adolescence lui restait vivace. J’eus la chance que mes missions d’interprétation me faisaient prendre régulièrement l’avion, voler avec de nouvelles compagnies, dans des avions que je n’avais jamais empruntés, j’élargis mon propre réseau d’aéroports. L’intérêt que je portais à cette activité et ma connaissance des langues me permirent plus tard d’être correspondant pour plusieurs magazines d’aviation. Si tout cela me permettait d’assouvir à un certain degré ma passion, cela contribuait aussi à alimenter ma frustration de ne jamais avoir fait réellement partie de ce monde qui m’attirait tant, au point que cela en devenait presque une obsession. Parallèlement à mon travail, j’avais entrepris à Madrid des cours en gestion d’entreprises touristiques et, dans ce cadre, je fis un stage à l’aéroport de Bruxelles. Mon badge était pour moi un véritable sésame. Je pouvais désormais accéder à l’autre côté de la barrière, j’embarquais des passagers, je traitais avec les opérations et les équipages, je conduisais une voiture sur le tarmac, bref, je retombais en enfance. Mais c’était clair, je voulais aussi décrocher mes ailes et voler. Je suivis, à Bruxelles cette fois, un cours pour obtenir ma licence de personnel navigant commercial et quelques mois plus tard je volai, le temps d’un été, sur un DC-10 appartenant à une compagnie charter aujourd’hui disparue. Quels souvenirs ! Ce Lisbonne-Caracas effectué pour le compte de la TAP, avec à la clef une escale de plusieurs jours dans un hôtel en bord de plage, et ce Belfast-Lourdes transportant exclusivement des pèlerins, dont certains très lourdement handicapés et pour lesquels le dernier espoir résidait dans l’eau miraculeuse. Je garde aussi un souvenir ému des vols opérés pour Air Afrique dont plusieurs avions avaient été saisis. Dakar, Bamako, Ouagadougou, Abidjan devenaient pour moi des lieux concrets sur la carte de l’Afrique, un continent pour lequel j’éprouve une prédilection. L’expérience de navigant fut brève, parfois je le regrette, mais j’avais réussi le concours de traducteur au Conseil de l’UE et il fallait garder raison. J’abandonnai donc ma vie nomade, le cœur lourd.
L’adaptation à la routine du fonctionnariat fut compliquée, plus qu’un atterrissage par fort vent de travers.
L’adaptation à la routine du fonctionnariat fut compliquée, plus qu’un atterrissage par fort vent de travers. Mes années de freelance à Madrid, qui m’avaient offert tant de liberté, me manquaient cruellement. Cette possibilité que j’avais de faire mille choses différentes. Heureusement, je reçus l’autorisation de continuer à écrire pour des magazines de tourisme et d’aviation, car le virus de l’aviation commerciale ne m’avait pas quitté et il se matérialiserait d’ailleurs dans un nouveau défi : écrire un livre.
Le monde des hôtesses de l’air m’avait toujours captivé et comme personne n’avait écrit de livre sur l’origine et l’évolution de leur métier, je décidai de combler cette lacune. Air France fut la première à m’ouvrir les portes de ses archives. Toute l’histoire de cette grande compagnie s’étalait devant moi, en photos, en documents, en uniformes anciens portant la griffe de Christian Dior, Cristóbal Balenciaga, Nina Ricci ou Carven. Ce premier contact facilita énormément l’accès aux autres compagnies, il me suffisait de dire que je travaillais déjà avec les archives de la compagnie française… Mais il me fallait du temps pour effectuer des recherches dignes de ce nom et me déplacer là où le métier avait vu le jour. Qu’à cela ne tienne, je pris une année sabbatique et me rendis aux États-Unis sur les traces d’Ellen Church, la première hôtesse de l’air de l’histoire. J’eus accès aux archives de plusieurs compagnies américaines historiques : United Airlines, American Airlines, Pan American Airways. Je me rendis aussi en Argentine, où un collègue traducteur et ancien steward à la KLM me mit en contact avec des anciennes hôtesses de l’air d’Aerolíneas Argentinas et de Líneas Aéreas Paraguayas. À Paris, Bruxelles, Amsterdam, Madrid, Londres, Buenos Aires, Chicago, Dallas, Miami, j’interviewai des hôtesses de l’air et des stewards de la première heure ou de l’âge d’or de l’aviation commerciale. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir formé équipe avec un caméraman. J’ai rencontré des femmes vraiment extraordinaires, certaines avaient une histoire qui me laissait petit, comme Amanda Stassart, une des premières hôtesses de l’air de la Sabena, qui avait survécu au camp de Mauthausen dans lequel elle avait été internée pour avoir fait de la résistance. Naturellement, je rencontrai aussi des hôtesses de l’air du Concorde, qui partagèrent avec moi leurs souvenirs avec tant de gentillesse. Et comble de chance, je parvins à trouver sans trop de difficultés un éditeur français qui publia mon livre. Défi relevé.
Une quinzaine d’années plus tard, je me mis un jour à jouer au simulateur de vol sur mon ordinateur. C’était marrant mais quand même très vite ennuyeux. Je ne voulais pas la copie, je voulais l’original.
Après beaucoup d’étude, des moments de doute mais surtout beaucoup de moments d’intense plaisir, je décrochai ma licence à cinquante-trois ans.
Il me restait pourtant un autre défi. L’expérience et l’âge aidant, je me dis qu’il n’était en fin de compte pas si saugrenu que cela d’envisager de devenir pilote ; j’avais été tenté à plusieurs reprises d’obtenir la licence de pilote privé. Tout de suite après mon recrutement à l’UE, j’avais entamé une première fois une formation, que je dus interrompre pour des raisons familiales. L’idée de la reprendre finit par s’estomper, mais elle n’avait pas disparu pour autant. Une quinzaine d’années plus tard, je me mis un jour à jouer au simulateur de vol sur mon ordinateur. C’était marrant mais quand même très vite ennuyeux. Je ne voulais pas la copie, je voulais l’original. Je finis par m’inscrire à un cours de pilote privé. Pendant un an, tous les mardis, après le travail, je me rendais sur les bancs de l’école pour étudier de 19h00 à 22h00 les matières exigées pour l’obtention du PPL (Private Pilot Licence) : connaissances générales de l’aéronef, performances en vol et préparation du vol, principe du vol, météorologie, navigation, réglementation aérienne et procédures ATC, procédures opérationnelles, communications et performances et limites humaines. Je suivis ces matières avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, alors que j’avais une culture scientifique et technique pratiquement nulle. Je combinai l’apprentissage théorique avec l’entraînement en vol à l’aéroport de Charleroi (Brussels-South Airport), un aéroport commercial international. Au départ, c’était très impressionnant de se retrouver sur la même piste que des Boeing et des Airbus. Mais on s’y fait très vite et c’est stimulant. Je dois bien avouer que j’adore qu’un avion de Ryanair doive attendre que j’atterrisse pour, lui, pouvoir décoller… Après beaucoup d’étude, des moments de doute mais surtout beaucoup de moments d’intense plaisir, je décrochai ma licence à cinquante-trois ans.
Aujourd’hui, je consolide mon expérience avec d’autres pilotes. Voler en Belgique n’est pas facile : la météo n’est pas géniale, les rafales de vent et la pluie fréquentes, le territoire est petit, on se trouve presque toujours dans un espace contrôlé et il faut donc être très attentif à ne pas enfreindre la réglementation. Il faut s’habituer à communiquer en anglais avec le contrôle aérien civil ou militaire, à mille petites choses… Alors avec mes copains pilotes nous louons régulièrement un ou deux biplaces ou quadriplaces et nous nous éloignons progressivement de notre base vers la France, l’Allemagne, les Pays-Bas. Voler avec d’autres pilotes permet non seulement de partager les frais mais surtout de profiter de l’expérience de chacun et de partager les joies que procure cette passion commune. J’aimerais un jour voler jusqu’à Bilbao, pour boucler la boucle, et aussi découvrir l’Afrique, aux commandes. À suivre… et si vous êtes traducteur-pilote ou passionné d’aviation, faites-moi signe !
Alain Pluckers Ugalde
Se licenció en traducción en el Institut supérieur de traducteurs et interprètes (ISTI) de Bruselas. Tras ejercer como traductor e intérprete en Madrid de 1990 a 1998, se incorporó a la Unidad de Traducción Francesa del Consejo de la UE en 1999. Aprovechando las oportunidades de movilidad que ofrecen las instituciones europeas, trabajó cuatro años en el Gabinete de Prensa de Javier Solana, fue luego responsable de las publicaciones y del Centro de Documentación del Consejo, y posteriormente administrador político. Hoy ha vuelto a la traducción, como miembro de la Unidad de Traducción Española. Su primer viaje en avión, de adolescente, fue el inicio de una pasión por la aviación que aún no lo ha abandonado. Comparte con nosotros esta pasión en un artículo que le hemos solicitado en francés.